Pas vraiment de lien entre coût du travail et chômage

Une des pseudos-lois économiques issue de la pensée orthodoxe et répétée à l’envi par les néolibéraux a pour objet le lien entre coût du travail et chômage. Selon elle, il existerait une relation positive entre coût du travail et chômage, c’est-à-dire que lorsque le coût du travail augmenterait le chômage augmenterait et inversement lorsque le coût du travail diminuerait le chômage diminuerait. Ce discours a tellement été martelé ces dernières années que beaucoup de gens le prennent pour une évidence. Pourtant, on peut se demander si cette « loi » est vérifiée dans le monde réel ou bien si elle existe uniquement dans les manuels de sciences économiques écrits par des économistes de salon.

Variation du chômage en fonction vs variation du coût du travail

J’ai utilisé les données de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) depuis 1990 (disponibles infra.) sur le taux de chômage et le coût du travail (rémunération horaire) dans les pays de l’OCDE. Concernant le coût du travail, l’indicateur issu de la base de données est la variation annuelle exprimée en %. Etant donné qu’il s’agit de la variation du coût du travail en euros courants (ou en monnaie nationale courante), j’ai calculé la variation annuelle du coût du travail en euros constants en utilisant là encore les données de l’OCDE sur l’inflation. Considérant qu’une variation du coût du travail à l’année N a des conséquences non seulement sur l’année N mais également sur les années qui suivent, j’ai calculé la moyenne glissante sur 3 ans de la variation du taux de chômage.

Voici le graphique obtenu avec en abscisse la variation du coût du travail (entre l’année N et l’année N-1) et en ordonnée la variation du chômage associée (en moyenne glissante sur 3 ans à partir de l’année N ie. la moyenne des variations entre N et N-1, N+1 et N-1, N+2 et N-1)).

Un zoom sur l’origine donne

Si la « loi » était vérifiée on devrait retrouver la grande majorité des points dans le quart supérieur droit et dans le quart inférieur gauche. Les deux graphiques montrent au contraire une grande dispersion des données. On peut alors comparer le nombre de cas qui confirment la « loi » au nombre de cas qui l’infirment.

La « loi » le-chômage-si-le-coût-du-travail-augmente est confirmée dans seulement 43% des cas (et donc infirmée dans 57% des cas). Difficile et même impossible de soutenir que la « loi » assénée par tous les néolibéraux existe autre part que dans les manuels de science économique orthodoxe (ou de salon…).

Toutefois, sur les deux premiers graphiques on a l’impression que sur leur moitié gauche, on trouve davantage de points dans la partie inférieure, ce qui correspondrait à la proposition «si le coût du travail baisse le chômage baisse ». Pourtant cela ne reste qu’une impression. Il y a autant de cas confirmatifs qu’infirmatifs.

Quelques exemples de pays

Lorsqu’on trace la courbe représentant le coût du travail (en indice base 100) associée à la courbe représentant le taux de chômage, on devrait obtenir (sous l’hypothèse que la « loi » chômage-coût-du-travail est exacte) une figure avec des lignes évoluant de manière homomorphe ou sensiblement parallèles, potentiellement en décalage du fait d’un temps de latence entre le moment de hausse (ou de baisse) du coût du travail et son effet sur l’emploi.

J’ai pu classer les pays suivant trois catégories. Bien entendu cette classification est purement informelle et repose uniquement sur l’allure des courbes.

  • Première catégorie : les pays pour lesquels le chômage évolue (généralement) en « sens inverse » par rapport au coût du travail.
  • Deuxième catégorie : les pays pour lesquels la « loi » est (généralement) respectée.

On remarque toutefois qu’à partir de 2015 au Japon, le chômage évolue en sens inverse du coût du travail. A noter aussi que les variations sur le coût du travail sont en fait très faibles (en tout cas par rapport à ce qu’on observe dans les autres pays) malgré l’allure de la courbe qui peut laisser penser le contraire (l’échelle de gauche est beaucoup plus resserrée que dans les autres exemples)

Pour la Suède également on observe à partir de 2014 une tendance inverse en contradiction avec la « loi » supposée.

  • Troisième catégorie : les pays pour lesquels pour lesquels on observe à la fois des périodes où la « loi » semble respectée et des périodes pour lesquels l’évolutions est complètement inversée.

La « loi » est violée entre 1997 et 2001, par contre elle semble respectée sur le reste de la période.

Là encore on observe que la « loi » n’est pas respectée sur les périodes 1997-2001 et 2009-2019.

La « loi » est respectée entre 2008 et 2014, cependant que sur cette période l’Italie comme tous les pays du Sud de l’Europe ont connu une crise économique et financière. Une partie (au moins) de la hausse du chômage s’explique sans doute ainsi. Par contre sur le reste de la période, on observe que le chômage évolue en sens inverse par rapport au coût du travail.

Sur la période 1998-2000, l’allure des courbes entre en contradiction avec la « loi », entre 2000-2005 celle-ci semble confirmée, puis de nouveau entre 2005 et 2008les courbes évoluent en sens contraire. Ensuite on observe une hausse assez importante du chômage alors que le coût du travail baisse légèrement, mais là encore il faut garder à l’esprit la crise économique et financière de 2008. Enfin entre 2014 et 2019, le chômage décroît tandis que le coût du travail reste stable.

On observe qu’entre 1990 et 2019, le coût du travail a tendance à augmenter régulièrement (sauf entre 2002 et 2005)) alors que le chômage (qui reste très bas) oscille ce qui montre que là encore la loi n’est pas confirmée. Au contraire sur la période 2002-2005, le coût du travail diminue légèrement tandis que le chômage augmente alors que sur les périodes 1999-2001, 2005-2007, 2016-2019 tandis que le coût du travail augmente le chômage diminue.

Sur la période 2001-2009, la « loi » est bien vérifiée mis à part entre 2005-2007. Par contre à partir de 2013, les courbes s’écartent, mouvement qui entre en contradiction avec la « loi » orthodoxe.

Entre 2000 et 2004, le chômage et le coût du travail évoluent de manière inversée. A partir de 2004 et jusqu’en 2007, par contre les courbes se suivent. Si on met de côté les années de crise 2009-2014 (qui semblent confirmer la « loi »), à partir de 2014 on observe une évolution en sens inverse en contradiction avec la « loi ».

La « loi » orthodoxe est vérifiée sur les périodes 1990-1995, 2000-2003, 2008-2012, le reste de la période elle est complètement « inversée ».

Conclusion

La « loi » d’airain si souvent assénée par les néolibéraux lorsqu’il s’agit de « réformer » le marché du travail ne repose sur aucun fait empirique probant. Elle paraît être davantage un slogan de propagande idéologique plutôt qu’une véritable loi scientifique.


Données : https://sagesseliberalehome.files.wordpress.com/2021/04/cout-du-travail-chomage.xls

Un commentaire

  1. les courbes semblent montrer aussi combien l’économie est mouvante et non domptable.
    des intérêts importants prennent le pas sur la réalité des choses.
    les conséquences ne sont pas envisagées car on ne cherche pas à creuser suffisamment l’avenir à long terme!

    les marchés réagissent non pas au jour le jour mais on « joue » trop sur les résultats pour réagir immédiatement!
    c’est abominable d’attribuer une valeur marchande à ceux qui donnent ,eux,une valeur à chaque brique de l »édifice qui est le monde!

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